Les anciens avaient-ils des livres

Les anciens avaient-ils des livres

par Albert Cim

Historia N°371, octobre 1977

Les écoliers rejoignent leurs classes et alourdissent leurs cartables de leurs manuels scolaires, les grands prix littéraires vont être décernés en cette fin d'année, et, après le temps d'arrêt des vacances, l'édition va recommencer à « sortir » ses nouveautés. Réfléchissons-nous assez à l'origine de ces instruments de connaissance et de détente que sont les livres? D'où viennent-ils? Quelles ont été leurs formes, leurs évolution, à travers les millénaires? Comment nos ancêtres, qui n'avaient point l'imprimerie, faisaient-il pour transmettre leur pensée ?

Qu'était le livre chez les Anciens et comment se fabriquait-il? Le mode de fabrication paraît avoir été identique en Grèce et dans le monde romain ; le livre, à Athènes comme à Rome, se composait originairement d'une longue bande de papyrus roulée sur elle-même, nommée en latin volumen, rouleau (de volvere, rouler), d'où nous avons fait volume.

Maître et élève
Le maître et l'élève à l'époque gallo-romaine. Le lecteur tient un rouleau de papyrus (volumen) dans sa main droite. Il le déroule au fur et à mesure de la lecture avec la main gauche qui enroule ensuite graduellement la partie dont il a été pris connaissance.

Le papyrus, « papier » des Anciens »

La plante nommée papyrus par les Egyptiens, et biblyos par les Grecs, est une espèce de roseau qui croît dans les marais de l'Egypte, de l'Abyssinie, de la Syrie, de la Sicile et de la Calabre. Elle a une racine ou rhizome féculent, dont les anciens Égyptiens se nourrissaient, et une tige ou hampe triangulaire haute de 2 mètres à 2,50 m, sans feuilles et terminée par une large et élégante ombelle.
C'est avec la tige du papyrus que les Anciens fabriquaient leur papier.
Dans son Histoire naturelle, Pline nous donne d'amples détails sur les diverses opérations de cette fabrication, « mais, dit Géraud, les trois chapitres qu'il a consacrés à cette matière sont parfois si obscurs, que, malgré de nombreux commentaires et même diverses expériences tentées sur du papyrus de Sicile, l'interprétation de quelques passages reste toujours incomplète ».
Voici les plus importants de ces détails, tels qu'ils ont été exposés et interprétés par Géraud et par Egger. La tige seule du papyrus, avons-nous dit, était bonne à faire du papier. On commençait par la fendre longitudinale ment en deux parties égales ; ensuite, avec une aiguille, on enlevait des bandes de papyrus aussi minces et aussi larges que possible. Ces bandes se nommaient en latin philyrae.
Les meilleures étaient les deux qu'on enlevait d'abord dans chaque partie de la tige, c'est-à-dire celles qui formaient le centre de la plante ; les autres diminuaient de qualité à mesure qu'elles se rapprochaient de l'écorce. Avec les premières, on fabriquait le papier de première qualité ; avec les secondes, le papier de seconde qualité : avec les troisièmes, celui de troisième qualité ; ainsi de suite.
Ces diverses espèces de papier se fabriquaient de la façon suivante :« Sur une table inclinée et mouillée avec de l'eau du Nil, on étendait, les unes à côté des autres, des bandes de papyrus aussi longues que la plante avait pu les fournir, après qu'on en avait retranché les deux extrémités, c'est-à-dire l'ombelle et la racine ; on les humectait encore avec de l'eau du Nil.
« Cette eau, pénétrant les lames du papyrus, délayait les sucs qu'elle pouvait contenir ; par là, elle perdait sa limpidité, devenait trouble et acquérait une viscosité suffisante pour tenir lieu de colle et assujettir entre elles les bandes de papyrus, dans le sens de leur longueur. Sur ces bandes longitudinales on en posait transversalement d'autres, qui, coupant les premières à angle droit, formaient, avec elles, une espèce de claie.
« Les feuilles, ainsi faites, étaient soumises à l'action d'une presse, puis séchées au soleil ; ensuite on les réunissait en un rouleau, scapus (en attendant que, revêtu d'écriture, il prît le nom de volumen), qui, du temps de Pline, contenait vingt feuilles. Au IVe siècle, la main de papyrus, comme nous dirions aujourd'hui, n'était plus que de dix feuilles. »
Mais, avant même d'être collées ainsi bout à bout et réunies en rouleau, ces feuilles subissaient diverses autre opérations : chacune d'elles était battue au marteau, et soigneusement polie au moyen de la pierre ponce, d'une dent d'animal, ou d'un coquillage ; puis ordinairement encollée, afin que l'écriture pût s'y tracer sans bavures. Pour écrire sur la bande de papyrus, on traçait, en colonnes verticales, de véritables pages d'écriture (paginae), dont chacune avait à peu près le même nombre de lignes, et qui se succédaient parallèlement l'une à l'autre.

Tablette
Ci-dessus, tablette recouverte d'écriture cunéiforme (Mésopotamie). Ces tablettes, généralement en bois, étaient enduites de cire. On inscrivait les caractères à l'aide d'un style.

Comme des boutiques de papiers peints

Au contraire, pour les lettres ou missives auxquelles suffisaient de petits rouleaux — « le papier à lettres » — les lignes étaient écrites dans le sens le plus étroit de la bande, de manière à ne former qu'une colonne d'un bout à l'autre du rouleau.
« Il n'est pas probable, remarque le Dr Gow, que des ouvrages aussi volumineux que ceux de Thucydide ou d'Homère aient été jamais réunis sur un seul rouleau, dont la longueur aurait atteint 80 mètres ; mais nous possédons des papyrus égyptiens qui ont près de 45 mètres de longueur. Des rouleaux aussi considérables étaient d'un maniement incommode ».
La forme, la nature même des volumina obligeaient ainsi les auteurs à publier leurs ouvrages par sections, et par sections relativement peu étendues : c'est ce qui explique la division en livres des œuvres de la plupart des écrivains latins, d'Horace, de Virgile, d'Ovide, de Martial, Stace, Tibulle, Properce, Apulée, AuluGelle, etc., et les dimensions, généralement restreintes, de chacun de ces livres.
Aussi ne faut-il pas se faire illusion sur le nombre considérable de volumes, de rouleaux de certaines bibliothèques anciennes : quand nous lisons, par exemple, « que la bibliothèque d'Alexandrie renfermait sept cent mille volumes, il faut bien se persuader, explique Peignot, que cette niasse énorme de volumes était peut-être le produit des veilles de six à sept mille auteurs tout au plus, et que toute cette bibliothèque d'Alexandrie n'aurait peut-être pas occupé trente à quarante mille de nos in-folio actuels ».
C'était autour d'une baguette, dite umbilicus, fixée à la dernière feuille, baguette de cèdre, de buis ou d'ivoire, que la bande de papyrus s'enroulait.
Les deux tranches du rouleau, — les deux bases de ce cylindre, — se nommaient frontes ; elles étaient souvent coloriées. Les extrémités de la baguette, appelées, elles aussi, umbilici, se trouvaient d'ordinaire garnies de petits boutons, bossettes ou pommettes qui étaient d'ivoire, d'argent, d'or, ou de pierre précieuse, suivant le prix et le luxe du manuscrit.
Ces petites pièces, travaillées avec beaucoup d'art, formaient un point brillant au centre de chaque volume (d'où ce nom d'umbilicus, nombril), et « portaient sans doute, soit au milieu, soit autour de la bossette, le nom de l'auteur du livre ». Peut-être aussi une étiquette contenant ce nom et le titre de l'ouvrage était-elle suspendue par un fil à ce bouton.
Quant aux volumes de condition plus modeste, ils portaient sur leur tranche supérieure, c'est-à-dire sur celle qu'on plaçait en vue, une languette de papyrus ou de parchemin, annonçant le titre de l'ouvrage, « ou plutôt le nom de l'auteur », rectifie Peignot. Ajoutons que chaque rouleau était préservé des attaques des insectes et rendu incorruptible au moyen d'un bain d'huile de cèdre.
Pour lire, le lecteur tenait le rouleau dans sa main droite, et le déroulait, au fur et à mesure de la lecture, avec sa main gauche ; cette dernière main lui servait à enrouler de nouveau graduellement la portion du volume dont il avait pris connaissance.
Pour transporter les rouleaux de papyrus, on les plaçait verticalement et par séries dans des boîtes cylindriques plus ou moins ornées, qui étaient de véritables écrins.
Dans les bibliothèques et chez les libraires, on les rangeait à plat dans de petites cases fixées aux murs, ce qui faisait ressembler ces bibliothèques et ces magasins à nos boutiques de papiers peints, dont les murs sont entièrement revêtus de casiers ainsi remplis de rouleaux.
Ces bibliothèques et ces librairies pouvaient encore se comparer à l'intérieur des colombiers, tout tapissés de nids ; — ou encore à un columbarium, avec ses rangées de petites niches destinées aux urnes funéraires; — d'où le nom de nidy nids, donné à ces cases.
Il est à supposer que, souvent, afin d'éviter la poussière, ces « nids » avaient chacun son volet, sa petite porte, ou bien étaient dissimulés derrière de longs panneaux de bois s'ouvrant comme des vantaux d'armoire.
Au lieu de l'écorce (liber, d'où le nom de livre) du papyrus, on s'est aussi servi parfois de l'écorce intérieure d'autres végétaux, du hêtre et du tilleul principalement, et aussi de bandes de toile préparées pour recevoir l'écriture.
« II nous reste, écrit Gow, un grand nombre de papyrus trouvés dans des tombes égyptiennes et à Herculanum; mais, à l'exception de ceux qui nous ont conservé des fragments d'Hypéride et quelques passages de poètes et de prosateurs malheureusement fort mutilés, aucun texte important d'auteur classique ne nous est parvenu sur papyrus. Tous nos textes complets d'auteurs de premier ordre sont écrits sur une autre matière, le parchemin. »
Scribe
Scribes écrivant sous la dictée (XVIIIe dynastie) sur des rouleaux de papyrus.

Le parchemin, première étape du livre moderne

Le parchemin (pergamena), fabriqué avec des peaux de moutons, de chèvres ou d'ânes, non tannées, mais simplement raclées après macération, doit son nom à la ville de Pergame, où il passe pour avoir été, sinon inventé, du moins employé d'abord et perfectionné.
C'est dans le courant du Ve siècle avant Jésus-Christ que le parchemin apparut ; mais ce n'est que bien plus tard, lorsque ses procédés de fabrication furent suffisamment améliorés, au commencement de notre ère, que son usage tendit à se répandre de plus en plus.
Grâce à son épaisseur et à sa contexture, le parchemin avait sur le papyrus ce grand avantage qu'il pouvait recevoir de l'écriture des deux côtés. Il présentait, en outre, assez de résistance et de solidité pour qu'on pût le faire servir à la confection de livres de forme analogue aux nôtres, c'est-à-dire composés de feuilles distinctes, de moyenne ou petite dimension, et réunies par une couture dans la marge du fond.
On appela ces livres codices (au singulier codex), libri quadrati (liber quadratus), « livres carrés ». Ces codices, avec leur couverture plate de bois ou de cuir, étaient à bon droit jugés moins encombrants, plus commodes et plus maniables que les volumina, que les scrinia.
Au lieu d'être rangés dans des casiers, comme les rouleaux de papyrus, les « livres carrés » étaient renfermés dans des armoires, dont les rayons, garnis d'un rebord, formaient plusieurs étages de plans inclinés, sur lesquels les livres étaient placés à plat, à côté les uns des autres, le titre en dessus.
Parchemin hébreu
Parchemin hébreu. Fabriqué avec des peaux animales, il pouvait, à la différence du papyrus, recevoir de l'écriture des deux côtés.

Les anciens blocs-notes

Le nom de codex avait originairement servi à désigner un livre, aussi de forme rectangulaire, composé de tablettes de bois rassemblées par un même côté. Tant en Grèce qu'à Rome, ces tablettes servaient pour les besoins de la vie courante ; elles recevaient d'ordinaire un enduit de cire, sur lequel on traçait les caractères à l'aide d'un instrument pointu, le style.
« Les tablettes de bois, nous dit Lecoy de la Marche, étaient connues des Hébreux à l'époque où fut rédigé le Livre des Rois, et des Grecs dès le temps d'Homère; mais les Romains furent les premiers à les faire entrer dans la pratique journalière. Ils en fabriquaient avec le buis, l'if, l'érable et d'autres bois durs; les plus précieuses étaient en citrus, sorte de cyprès venant d'Afrique.
« Elles étaient disposées, tantôt en forme de livre ou de portefeuille (car elles avaient souvent plusieurs feuillets), tantôt en forme de diptyque ou de polyptyque, et tantôt comme un paravent.
« Elles s'employaient rarement sans enduit, et l'enduit ordinaire était la cire. Des rebords en saillie retenaient sur chaque feuillet cette substance malléable, sur laquelle on écrivait avec le style.
« Les tablettes, ainsi préparées, servaient partout aux correspondances, aux devoirs des écoliers, aux comptes, aux notes fugitives; car le principal avantage de la cire et la raison de son emploi, c'est qu'elle permettait d'effacer et de remplacer facilement les caractères tracés.
« Par le même motif, l'usage des tablettes se perpétua jusqu'à la fin du Moyen Age, la vulgarisation du livre proprement dit ne détruisant pas leur utilité toute spéciale. Charlemagne en avait d'habitude sous son chevet, suivant le témoignage d'Eginhard. Aux XIIe et XIII siècles, les clames françaises en portaient à leur ceinture, renfermées dans un étui plus ou moins riche, et les fabricants de « tables à escrire » formaient à Paris une corporation.
« Les comptes de nos rois étaient dressés sur des tablettes de cire, avant d'être transcrits sur le parchemin, et un de ces brouillons attire encore à juste titre la curiosité du public dans le musée de nos Archives nationales.
« Ce précieux monument renferme une partie des recettes et des dépenses de l'hôtel de Saint Louis pour les années 1256-1257. Chacun de ses feuillets, autrefois réunis par des charnières, de manière à imiter la forme du livre, est revêtu de cire noire sur l'une et l'autre face ; l'écriture y est tracée dans le sens le plus long, et barrée aux articles vérifiés ou recopiés par les gens des comptes. La Bibliothèque nationale possède des documents analogues pour les règnes de Philippe III et de Philippe IV... Le musée du Louvre contient trois ivoires ayant la même destination, qui ont été dépeints sommairement par M. de Laborde.
« Nos pères utilisaient les tablettes, non seulement pour leurs comptes et leurs messages, mais pour des extraits de livres, des reportations de sermons, des testaments, des projets d'actes, et, d'après certains étymologistes, le nom des tabellions n'a pas d'autre origine que celui des tabellae sur lesquelles ils rédigeaient leurs minutes. »
Livre des Miracles de Notre-Dame
Frontispice du Livre des Miracles de Notre-Dame (B.N., XV siècle). On remarque les grosses couvertures des livres et leur rangement à plat.

Le style, notre stylo ?

Le style, qui servait à écrire sur les tablettes de cire, « était un petit instrument d'os, de fer, de cuivre ou d'argent, long de quatre à cinq pouces, mince, effilé et pointu à l'une de ses extrémités, tandis que l'autre, assez forte, était aplatie...
« La pointe traçait l'écriture sur la cire, et, si l'on avait une lettre ou un mot à corriger ou à effacer, on retournait le style et l'on employait l'extrémité aplatie pour faire disparaître la lettre ou le mot réprouvé, pour rendre unie, dans cet endroit, la surface de la cire, et pouvoir substituer un autre mot à celui qu'on venait d'effacer.
« II paraît que l'usage du style est fort ancien ; il en est question dans la Bible. Dieu menace de détruire Jérusalem, et, selon l'expression de la Vulgate, de l'effacer comme on efface ce qui est écrit sur des tablettes, en passant et repassant plusieurs fois le style par-dessus.
« Mais si le style a été en usage longtemps avant l'ère vulgaire, on s'en est encore servi longtemps après, saint Boniface, apôtre d'Allemagne, nous apprend, dans une de ses lettres, que les styles d'argent étaient encore à la mode au VIIIe siècle. Nous avons vu précédemment que leur usage s'est prolongé bien au-delà de ce siècle, puisque les tablettes de cire étaient encore employées au XVe » (Peignot.)
Durant ce long intervalle, le style est plus d'une fois devenu une arme dangereuse, s'est plus d'une fois transformé en stylet. « César, se défendant, en plein Sénat, aux ides de mars, contre ses assassins, perça le bras de Cassius avec son style, graphio trajecit, dit Suétone. Caligula, désirant la mort d'un sénateur, suborna des gens pour l'attaquer comme ennemi public, et le malheureux fut massacré à coups de style.
Saint Cassien, maître d'école à Imola, en Italie, fut martyrisé, vers le IVe siècle, à coups de style, par ses écoliers. » (Peignot.)
Pour écrire sur le parchemin ou sur le papyrus, on se servait d'un mince roseau (calamus), taillé en pointe et trempé dans de l'encre. Les roseaux préférés pour l'écriture étaient, selon Pline l'Ancien, ceux de Cnide; selon Martial, ceux d'Egypte, « de la terre de Memphis; les autres ne sont bons qu'à couvrir les toits ».
Il résulte d'un passage d'Ausone que les Anciens, après avoir taillé en pointe leurs calami, fendaient cette pointe en deux par le milieu, absolument comme sont taillées et fendues nos plumes actuelles. Ils effectuaient cette double opération à l'aide d'un canif, et quand la pointe du calamus venait à s'émousser, ils l'affilaient avec la pierre ponce, ou avec une pierre à aiguiser.
L'usage du calamus (roseau) pour écrire a duré jusqu'au VIe ou VIIe siècle ; le roseau a été alors remplacé par les plumes d'oie ou d'autres oiseaux.
Quant aux plumes métalliques, bien qu'on les regarde comme une invention moderne, elles sont, nous dit Géraud « d'une origine assez ancienne ». Rader, dans ses commentaires sur Martial, dit que, de son temps, on a trouvé, chez les Daces, un roseau d'argent qu'il supposa avoir servi à Ovide pendant son exil.
Laissant de côté la partie purement hypothétique de cette assertion, il n'en reste pas moins constaté qu'on a découvert, au XVIe siècle, une plume métallique reconnue pour être un ustensile ancien. Au Moyen Âge, s'il faut croire Montfaucon, les patriarches de Constantinople se servaient, pour leurs souscriptions, d'un roseau d'argent.

Les encres

L'encre ordinaire en usage chez les Latins comme chez les Grecs, était un simple composé de noir de fumée, de gomme et d'eau.
L'encre se faisait, à ce qu'il paraît, sans feu, à la chaleur du soleil. Celle à laquelle on mêlait un peu de vinaigre s'effaçait, dit Pline, très difficilement. Ailleurs, il assure que, pour préserver les livres des souris, il suffisait de faire infuser de l'absinthe dans l'encre.
« L'encre des Anciens a été en usage jusqu'au XIIe siècle, époque où a été inventée celle dont on se sert aujourd'hui, qui est composée de sulfate de fer, de noix de galle, de gomme et d'eau. L'ancienne encre était noire lorsqu'on l'employait, mais elle jaunissait avec le temps et, si elle était exposée à l'humidité, elle finissait par s'effacer entièrement... »
Outre l'encre noire, et la sèche, les Anciens possédaient une « encre indienne », dont parle Pline l'Ancien, « qui est aussi mentionnée par Vitruve, et pourrait bien avoir donné naissance à l'encre de Chine ». Ils connaissaient aussi les encres de couleur, et particulièrement l'encre ou liqueur d'or et celle d'argent. Les plus fréquemment employées des encres de couleur étaient l'encre rouge et l'encre bleue ; les plus rares, l'encre verte et l'encre jaune.
Ces encres de couleur ne servaient guère que pour les initiales et pour les titres, et comme on avait recours le plus souvent, dans ce cas, à l'encre rouge, les titres ne tardèrent pas à prendre le nom de rubricae, rubriques (ruber, rouge).
En général, l'encre noire ordinaire des Anciens pouvait assez facilement s'effacer, quand elle était fraîche, avec une éponge et de l'eau; lorsqu'elle était sèche, il fallait faire usage du grattoir.
« Comme la matière première pour écrire était, dans l'Antiquité, beaucoup plus rare que ne l'est le papier de nos jours, il arrivait souvent qu'on lavait et qu'on grattait un parchemin portant de l'écriture, pour écrire un nouveau texte par-dessus. Les parchemins ainsi traités s'appelent palimpsestes.
« Cette pratique fut malheureusement fort répandue dans les couvents du Moyen Age, et nous a coûté beaucoup de précieux monuments de la littérature antique. Souvent, toutefois, le lavage et le grattage n'ont pas été poussés très loin, de sorte que les traces de la première écriture sont restées visibles et ont pu de nos jours être rendues plus distinctes par l'emploi de réactifs chimiques. Il a été possible de retrouver de la sorte quelques-uns des textes classiques que les moines avaient grattés pour y superposer des écrits ecclésiastiques. »
C'est grâce au parchemin que le Moyen Age put faire ces admirables manuscrits, ces missels, ces livres d'heures, aux merveilleuses miniatures, qui sont la joie de nos yeux.
Mais ni le papyrus ni le parchemin n'auraient pu aider Gutenberg et ses émules dans leur invention : le papyrus était trop mince et trop cassant, le parchemin, au contraire, trop sec et trop résistant; tous les deux se montraient, comme on dit en termes du métier, trop peu « amoureux de l'encre ».
Le papier, heureusement, avait fait son apparition, et, dès le XIIe siècle, était entré en usage : l'imprimerie devait trouver en lui un excellent auxiliaire.

Albert Cim


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