L'histoire de la Lycie

Histoire des Lyciens

Par Christian LE ROY
Article tiré des "Dossiers de l'archéologie N°239" consacrés à Xanthos (1998)
La Lycie, comme c'est le cas des autres régions d'Asie Mineure, a eu une histoire fort mouvementée, dont les débuts sont cependant obscurs. Mentionnés dans les textes hittites dès le XV s. av. J.-C., il faut attendre presque mille ans pour que les premières sources véritablement historiques apparaissent. C'est également vers cette époque, c'est-à-dire celle de la domination perse, et jusqu'aux invasions arabes du VII s. ap. J-C. que l'histoire proprement lycienne cesse et que commence celle de la Lycie perse, grecque, romaine et byzantine : la petite province appartient alors à une vaste koinè politique et culturelle.
Carte de la Turquie antique (D 
Laroche)
Carte de la Turquie antique (D Laroche)

LA PLUS ANCIENNE HISTOIRE de la Lycie mérite à peine ce nom, étant nourrie de mythes plus que de faits et de légendes plus que de traditions. Jusqu'à ces toutes dernières années, il n'y avait aucune trace archéologique d'une présence humaine avant le Haut archaïsme (fin du VIIIe siècle av. J.-C.). Il fallait remonter vers le nord, en Milyade, soit aux confins de la Lycie et de la Pisidie, pour trouver, dans les environs de la ville moderne d'Elmalî, sur le site de Semahôyük-Karatash, une nécropole remontant au Bronze Ancien. De toutes récentes prospections ont permis de retrouver des traces d'occupation contemporaine dans les environs de Tlos, où avait été trouvé naguère, hors contexte, un poignard du troisième millénaire av. J-C. Il n'est pas impossible que peu à peu nous puissions donner une réalité concrète à la Lycie de cette époque, mais l'objectif est encore éloigné, et il faut pour le moment s'appuyer essentiellement sur des textes, qui ont été écrits par des non-Lyciens (ainsi les textes hittites) et parfois plusieurs siècles après l'époque à laquelle ils prétendent renvoyer (test le cas des textes homériques).

LES TEXTES HITTITES

Les textes hittites mentionnent pour la première fois au XVe siècle av. J-C. un peuple appelé Lukka, dont l'homogénéité ethnique est probable, mais qui ne forme sûrement pas un état. Au XIIIe siècle, on les trouve dans les rangs des années hittites opposées au pharaon Ramsès II à la bataille de Kadesh (vers 1290-1275 av. J-C.). D'autres textes les présentent comme des pirates capables d'opérer des razzias sur l'île de Chypre, ce qui implique qu'on peut les situer aux bords de la Méditerranée. Quelques noms de lieux sont proches de toponymes lyciens connus à l'époque historique, tels Arinna (lycien Arnna, Xanthos), Dalawa (lycien Tlawa, Tios), Zumarri (lycien Zemuri, Limyra), ce qui pourrait indiquer que les Lukka de l'âge du Bronze vivaient dans la même région que les Lyciens du premier millénaire, et rend d'autant plus troublante l'absence de témoignages archéologiques, au point que certains spécialistes récusent ces rapprochements et situent les Lukka plus à l'est en Anatolie, en Lycaonie (région de la moderne Konya), ce qui du reste ne résout pas tous les problèmes.

Bas-relief 
de la salle hypostyle d’Abou Simbel, siege de Kadesh
Les textes hittites mentionnent pour la première fois au XVe siècle av. J.-C. un peuple appelé Lukka
et que l’on retrouve au XIIIe siècle dons les rangs des armées hittites opposées au pharaon Ramsès II lors de la bataille de Kadesh.
Sur ce dessin d’un bas-relief de la salle hypostyle d’Abou Simbel (mur nord, registre supérieur),
on voit la forteresse de Kadesh entourée d’un fossé, avec ses tours et ses défenseurs.

LES SOURCES GRECQUES

Le texte grec le plus ancien où il est question de la Lycie est naturellement l'Illiade. Le roi lycien Sarpédon est l'allié des Troyens. Son royaume, fertile et riche, est identifié à la vallée du "Xanthe aux eaux tourbillonnantes". Un autre guerrier lycien, Glaucos, descend du héros Bellérophon, exilé d'Argos à qui ses exploits, et en particulier le meurtre de la Chimère, monstre crachant le feu au triple corps de lion, serpent et chèvre, valent d'obtenir la fille du roi en mariage, avec, en dot, la moitié du royaume. Le mythe de Bellérophon est le premier d'une série tendant à démontrer que les souverains lyciens, sinon le peuple lycien lui-même, sont d'origine grecque. Cette appropriation de l'espace méditerranéen par héros interposé est une constante de la fabrication des mythes chez les Grecs, et sert de justification idéologique à l'expansion grecque qui commence au VIIIe siècle av. J-C. le nom même de Xanthos n'a rien d'anatolien - purement grec, il renvoie à la couleur jaune que prend le fleuve charriant des alluvions, tel le Fleuve Jaune en Chine. La Lycie d'Homère n'est donc, au mieux, qu'un mythe grec.
C'est une tradition du même type qui nous est livrée par Hérodote au début du Ve siècle av. J-C. : les Lyciens, y compris Sarpédon, sont des immigrants crétois qui s'appelaient les Termiles. Or ce nom est précisément celui sous lequel se désignent les Lyciens dans leur propre langue au V siècle. Rappelons que cette langue, quoique indo-européenne, n'a rien de commun avec le grec et appartient à la famille linguistique anatolienne du louvite, sans parenté apparente avec les dialectes crétois. Dès lors, on peut penser que la tradition rapportée par Hérodote joue, comme on dirait aujourd'hui, le rôle d'interface entre revendications grecques et réalités anatoliennes : il donne aux Lyciens leur nom authentique et anatolien, mais il les fait venir de Crète. Bien entendu, rien de tout cela n'a valeur historique.

Vase celebre, peint 
par Euphronios vers 515-510 av. J.-C.
Dans l’Iliade, les Lyciens et leur roi Sarpédon sont cités comme alliés des Troyens.
Sur ce vase célèbre, peint par Euphronios vers 515-510 av. J.-C., le corps de Sarpédon qui vient d’être tué par Patrocle,
est porté par Hypnos, personnification du sommeil, et Thanatos, personnification de la mort.
A l’arrière-plan, Hermès, et sur les côtés, Léodamas et Axippos, deux héros troyens.
New York, Metropolitan Museum of Arts.

Lukka ou Termiles ?

Le véritable problème, non encore résolu, est de découvrir pourquoi les Lyciens s'appellent Lukka chez les Hittites et Termiles chez eux, et pourquoi les Grecs ont adopté le premier nom et non le second. Faire d'Homère, comme on l'a proposé, le principal artisan de ce choix ne fait que reculer le problème. Une autre hypothèse inverse les données les Termiles seraient un groupe fixé dans la vallée du Xanthe, appartenant à l'ethnie plus large des Lukka, qui aurait au cours des âges obscurs gagné en influence politique et culturelle au point de donner son nom à l'ensemble des peuples de la région. On a peut-être une trace de cette implantation des Termiles dans un fragment du poète Panyassis (Ve siècle av J.-C.) qui donne un certain Tremilès comme ancêtre aux héros éponymes des villes de Tlos, Xanthos et Pinara, toutes trois situées dans la vallée du Xanthe. Mais les grecs auraient, eux, hérité de l'âge du Bronze et adopté l'appellation générique de Lukka dont ils auraient fait étymologie populaire aidant (Lycos en grec signifie loup), les Lykioi (Lyciens). Le fait que les Grecs aient attribué aux Termiles un nom sorti de l'usage local a pu favoriser la " mythopoièse ", c'est-à-dire l'élaboration par les Grecs, à l'époque archaïque, de mythes concernant les Lyciens, ou les relations entre Grecs et Lyciens. Il faut se garder d'attribuer à ces mythes la moindre valeur historique. Les représentations locales de Bellérophon combattant la chimère, le culte de Sarpédon et l'utilisation de son nom pour désigner des groupes sociaux en Lycie, ne sont que des réappropriations tardives de mythes homériques. Le fait que l'Hymne homérique à Apollon (dans un passage du reste peut-être interpolé) attribue à ce dernier une sorte de suzeraineté religieuse sur la Lycie ne fait pas de lui un dieu originellement lycien. La même réserve s'impose pour la nationalité du poète semi-légendaire, prétendument contemporain d'Orphée, "Olen le Lycien", dont on chantait à Pélos un hymne à Ilithyie aujourd'hui perdu, et célébrant la mise au monde par Léto des jumeaux Apollon et Artémis. Non seulement ce Lycien s'exprime en grec, mais tout ce qu'il est censé avoir écrit relève de la mythologie grecque, à commencer par la localisation à Délos de la naissance d'Apollon, et n'a rien d'anatolien. Si Olen a existé, et s'il était vraiment lycien, c'était alors un Lycien complètement déculturé.

LA DOMINATION PERSE

C'est dire qu'on sait peu de choses sur la Lycie à l'époque archaïque. La fouille de l'acropole lycienne de Xanthos a révélé l'existence d'un habitat, encore primitif, au VII siècle av. J-C. Les couches plus anciennes sont peut-être en contre-bas de l'acropole, sous plusieurs mètres d'alluvions et noyées dans la nappe phréatique. Les premiers contacts avec l'extérieur sont, d'après les tessons importés, orientés vers l'île de Rhodes et la mer Egée. Il n'y a aucun document écrit avant le Ve siècle. On est donc amené, en extrapolant à partir de la période suivante, à supposer que le pouvoir était morcelé entre petits dynastes retranchés chacun dans une ville fortifiée et exploitant, pour leur subsistance, la campagne et les paysans d'alentour.

Deux tombes lyciennes caractéristiques
Deux tombes lyciennes caractéristiques :
le "pilier des Harpyies" (début Ve siècle av JC)
et le "sarcophage sur pilier" (IVe s av JC), au centre de la ville de Xanthos

L'absence d'unité est en tout cas certaine. L'événement majeur de l'histoire de Xanthos au VIe siècle nous est narré par Hérodote vers 540 av. J.-C., Harpagos, général aux ordres du roi de Perse Cyrus le Grand, conquiert l'Asie Mineure occidentale. Les Lyciens se retranchent derrière les remparts de Xanthos, assiégée par les Perses, puis, lorsque la prise de la ville apparaît inévitable, incendient les bâtiments, sacrifient femmes et enfants et font eux-mêmes une sortie suicidaire dont pas un ne réchappe. Ce thème de l'anéantissement volontaire et programmé de tout un peuple aux abois est fréquent dans la littérature ancienne. Mais précisément, comme il s'agit d'un topos, développement passe-partout fréquemment utilisé, la prudence est de rigueur. Hérodote lui-même se heurtait à une contradiction puisque toute la population avait disparu, comment se fait-il que, de son temps, la cité fût à nouveau riche et peuplée ? 11 raconte alors que quatre-vingts familles, absentes de Xanthos au moment de la catastrophe, y revinrent après coup pour la reconstruire et la repeupler. Cette absence providentielle vient trop à propos pour n'être pas suspecte. Si la prise de Xanthos par les Perses est incontestable, son caractère à la fois théâtral et stéréotypé est douteux.
Quoi qu'il en soit s'ouvre alors une ère de domination perse qui est aussi une ère de développement économique et culturel, et ne prendra fin qu'avec Alexandre le Grand en 334 av. J-C. Durant cette période, la Lycie est administrativement rattachée à l'autorité du satrape perse résidant à Sardes, en Lydie, auquel les villes paient tribut et doivent probablement des prestations en nature (corvées, contingents militaires). Mais le satrape laisse libre cours au jeu des rivalités locales entre familles dominantes. Les villes changent de mains au gré de petites guerres de succession sans que le pouvoir central y trouve à redire. Les dynastes s'enrichissent et émettent de nombreuses monnaies à leur effigie. A la fin du VIe et au Ve siècle, l'écriture se répand les Lyciens empruntent aux Rhodiens bon nombre de lettres grecques, élaborent en sus des signes qui leur sont propres et fixent ainsi leur langue. De plus au carrefour des influences perse et grecque, les Lyciens parviennent à élaborer une civilisation autonome affirmant leur identité ethnique et culturelle. C'est ainsi qu'à la fin du VIe siècle av. J-C. apparaissent les piliers funéraires, grands parallélépipèdes monolithes dressés, au sommet desquels la chambre funéraire est souvent ornée de sculptures. Le plus ancien connu est orné d'un lion, représentant le pouvoir absolu et prédateur du dynaste. Le pilier dit des Harpyies est très représentatif de cet art gréco-lycien, dans lequel des artistes grecs mettent leur talent au service d'une idéologie orientale. Vers la même époque paraissent les sarcophages dits lyciens, dont la caractéristique est d'avoir un toit en ogive et d'être montés sur de hauts piédestaux, et les tombes rupestres, pour la plupart caveaux creusés dans le rocher avec une façade imitant le travail du bois, d'où le nom qu'on leur a donné de tombes-maisons.

Reconstitution du temple de 
Letoon (D Laroche)
Reconstitution du temple de Letoon (D Laroche)

Quelques figures historiques émergent la grande inscription du pilier dressé sur l'agora de Xanthos nous donne les noms de plusieurs membres de la dynastie des Harpagides. Le dynaste Kheriga (en grec Gergis) se distingue, au début de la guerre du Péloponnèse, en anéantissant un détachement envoyé par Athènes pour percevoir le tribut dû par les membres, volontaires ou contraints, de la Ligue de Délos, sous le commandement du stratège Mélésandros, qui y laisse la vie. Kheriga se vante d'avoir tué de sa main sept hoplites arcadiens, probablement des mercenaires engagés par Athènes. Son successeur Arbinas, au début du IVe siècle avant notre ère, guerroie contre sa parentèle pour reconquérir son apanage. Dans plusieurs inscriptions retrouvées au Létôon, il se targue d'avoir pris trois villes en un mois Xanthos, Pinara et "Telmessos au bon port". Une fois au pouvoir dans la vallée du Xanthe, il a développé le sanctuaire de Léto et consulté l'oracle de Delphes. Bien qu'aucun texte ne le prouve formellement, il est très probable que nous avons son tombeau, en l'espèce le Monument des Néréides.
La situation politique change vers 370 avant J.-C. Un dynaste de Limyra, dont le nom, Périclès, indique à quel point il était hellénisé, réussit, en profitant sans doute de la révolte des satrapes de la côte méditerranéenne contre le pouvoir central perse, à unifier provisoirement la Lycie sous son commandement. Mais l'écrasement définitif de la révolte par le roi Artaxerxès III Ochos peu avant le milieu du IVe siècle y met bon ordre. Les petits royaumes sont abolis et la Lycie passe sous le contrôle des satrapes de Carie, c'est-à-dire d'abord de Mausole, puis de ses successeurs de la famille des Hécatomnides. C'est sous le règne de l'avant-dernier d'entre eux, Pixôdaros, que fut érigée au Létôon la stèle trilingue (araméen, lycien et grec) qui, outre son rôle dans le déchiffrement de la langue lycienne, nous fixe sur les modalités de cette dépendance.
Cette période "carienne" est extrêmement courte - moins d'un quart de siècle - mais elle est importante pour l'histoire de la civilisation lycienne. C'est à ce moment en effet que, dans cette province, le grec devient la langue de l'état et du pouvoir, le lycien restant la langue véhiculaire au niveau local, et où les Lyciens commencent à adopter le vocabulaire politique des cités grecques, même si la réalité du pouvoir leur échappe encore largement.

Specimen 
d’ecriture lycienne, fragment du pilier inscrit de Xanthos.jpg
Spécimen d’écriture lycienne fragment du pilier inscrit de Xanthos.
On y reconnaît une majorité de lettres grecques et quelques signes propres aux Lyciens.

LA PÉRIODE HELLÉNISTIOUE

L'arrivée d'Alexandre le Grand, en 334 avant J-C marque, ici comme ailleurs, le début dune nouvelle ère. Le conquérant lui-même est passé à Xanthos, et très probablement au Létôon. Un passage de Plutarque nous apprend en effet qu'il se rendit, dans les environs de Xanthos, à une source d'où jaillit une inscription gravée qui, déchiffrée par les sages locaux, lui promettait la ruine de l'empire perse. Cette tradition, dont l'historicité est naturellement fort douteuse, a pu appuyer sur une dédicace du roi Alexandre, gravée en beaux caractères du IVe siècle et retrouvée au Létôon.
Quoi qu'il en soit, il est notable que l'on n'ait retrouvé aucune inscription en langue lycienne sûrement gravée après la mort d'Alexandre. Certes, la Lycie conserve ses coutumes funéraires, et beaucoup de Lyciens continuent à porter des noms locaux. Mais le lycien en tant que langue écrite a disparu: nous ne savons naturellement rien du langage parlé. La Lycie elle-même devient l'un des enjeux des rivalités entre les héritiers d'Alexandre et leurs descendants, Pendant la plus grande partie du IIIe siècle avant J-C., elle reste sous l'influence des Ptolémées, pour qui elle constitue une tête de pont sur la côte sud de la Méditerranée. A la fin du siècle elle tombe pour une dizaine d'années sous la domination des Séleucides qui dominent alors l'Asie Mineure, puis elle redevient lagide. Entre-temps s'est formée la Ligue (en grec koinon) des villes lyciennes, structure fédérale qui perdure ensuite jusqu'à l'époque romaine, et dont nous connaissons les organes de gouvernement grâce au géographe grec Strabon (Ier siècle de notre ère). Les Lyciens semblent à cette occasion avoir inventé la représentation proportionnelle chaque ville membre du koinon disposait en effet au sein du conseil fédéral d'un nombre de voix proportionnel à son importance : il y avait des villes à trois voix (dont Xanthos), à deux et une seule voix. Leur contribution aux dépenses fédérales communes était répartie suivant le même principe. L'intérêt de ces dispositions n'avait pas échappé à Montesquieu, qui écrit dans l'Esprit des Lois (IX-3) " S'il fallait donner un modèle d'une belle république fédérative, je prendrais la république de Lvcie ". Il n'y avait pas de capitale au sens propre, encore que, sous l'empire romain, le port de Patara ait dépassé Xanthos en importance Tous les quatre ans se tenait dans le théâtre du Létôon un grand rassemblement accompagné de concours gymniques et musicaux, le tout placé sous l'invocation de la déesse Léto, puis sous le patronage commun de Léto et de la déesse Rome. En un siècle à peine, le Létôon était ainsi passé du statut de sanctuaire dynastique à celui de sanctuaire civique, puis de sanctuaire fédéral. A cette époque, sont affichés, gravés sur pierre, dans le téménos les documents officiels (traités, décrets honorifiques, lettres royales) concernant la ville de Xanthos mais aussi ceux où la confédération est partie prenante. C'est dire la valeur des textes qui proviennent de ce site.

Canthare à double tête trouvé en 
Egypte
Canthare à double tête trouvé en Egypte

La montée en puissance de Rome bouleverse cet équilibre fragile. Le jeu de la diplomatie romaine consiste à favoriser ses alliés tout en les empêchant de devenir trop puissants. La Lycie, qui a déjà plusieurs fois, comme on la vu, changé de mains, est une carte dans le jeu de Rome. En 189/88 av. J-C., la Lycie est attribuée aux Rhodiens, pour les récompenser de leur fidélité à Rome dans la guerre menée par celle-ci contre le roi séleucide Antiochos III. Mais cette tutelle est pesante et les Lyciens se révoltent à plusieurs reprises. En 177, les Xanthiens envoient une ambassade au Sénat romain pour exposer leurs doléances, Finalement, Rhodes ayant eu le tort de rester neutre dans le dernier conflit entre Rome et les Séleucides, la Lycie lui est enlevée et proclamée indépendante en 168/67 av. J-C. Indépendance plutôt nominale, puisqu'un traité d'alliance lie fermement Rome et la Ligue lycienne. Pour autant, les dangers ne manquent pas, en cette période où Rome est déchirée par les guerres civiles dans lesquelles les alliés doivent prendre parti. Dans la guerre qui suit l'assassinat de César (44 av. J-C.), les Lyciens prennent parti contre Brutus et pour Octave, le futur empereur Auguste. Brutus, alors, assiège, prend, et détruit Xanthos (42 av. J-C.). La tradition veut que se soit répété à cette occasion le sacrifice collectif rapporté, cinq siècles avant, par Hérodote. Mais ce 'doublet' est encore plus suspect que l'original dont il s'inspire. En tout cas, dès 41 av. J-C., après la défaite de Brutus et Cassius, Marc-Antoine ordonne le repeuplement de Xanthos dévastée et confirme l'indépendance des Lyciens.
Celle-ci dure jusqu'en 43 ap. J-C. Peu avant cette date avait éclaté une guerre intestine dont nous ne savons rien, sinon qu'elle avait fait des victimes parmi les résidants romains. L'empereur Claude décide alors de réduire la Lycie à l'état de province sous administration directe d'un gouverneur nommé par l'empereur. Ce statut subordonné reste celui de la Lycie jusqu'à la fin de l'Antiquité, avec des variantes la Lycie est tantôt seule, tantôt réunie à la Pamphylie et à la Galatie. Mais ces changements dans l'organigramme des provinces n'en affectent pas la situation interne. La " Paix romaine " engendre la prospérité et les villes se développent. Au Létôon, la visite de l'empereur Hadrien est l'occasion d'ériger, quelques années après, un nymphée monumental. A Xanthos, l'époque de Septime Sévère et de ses successeurs immédiats (première moitié du IIIe siècle ap. J.-C.) est marquée par un important développement urbanistique.

Carte de la Lycie (D Laroche)
Carte de la Lycie (D Laroche)

L'IMPLANTATION DU CHRISTIANISME

Le christianisme s'implante en Lycie à partir du IVe siècle de notre ère et surtout de l'édit de Théodase proscrivant les cultes païens. Au Létôon, le grand temple hellénistique de Léto sert provisoirement de lieu de culte, avant d'être partiellement démantelé et que ne soit construite au Ve siècle ap. J-C une église assortie d'un petit monastère qui recouvre partiellement le nymphée. Cet établissement disparaît quand le site du Létôon est abandonné et livré aux alluvions, au VIIe siècle de notre ère, probablement au moment des premières invasions arabes.
A Xanthos en revanche, siège d'un évêché, est construite une véritable cathédrale dont le sol était intégralement couvert d'un dallage en opus tessellatum (éclats de marbre de couleurs variées), auquel succède un tapis de mosaïque à décor animal et végétal. Un baptistère fut ajouté à une date postérieure. Le palais épiscopal, situé sans doute dans le voisinage immédiat, n'a pas encore été fouillé. Il y avait en outre, au sommet de l'acropole, une autre grande église qui a pu jouer le rôle d'église de pèlerinage. Ces établissements religieux déclinent à partir du Xe siècle et sont abandonnés après les invasions seldjoukides. Mais le site a été partiellement repeuplé à partir du XVIIIe siècle par des populations chrétiennes déplacées en Lycie sur ordre du pacha de Rhodes et qui étaient censées mettre la région en valeur. La nef centrale de la cathédrale épiscopale, entre temps ruinée, a alors servi de nécropole.

Christian Le Roy est ancien directeur de la Mission archéologique Xanthos-Létôon

Voir aussi : La Lycie à l'époque bizantine tirée de "Dossiers de l'archéologie N°239 - Xanthos" de 1998 (ajout du 28/10/2010)

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