Néfertiti: la belle est venue

Néfertiti:
La belle est venue

Trente-trois siècles nous séparent de Néfertiti, cette réformatrice dont nous commençons à peine à comprendre l'influence sur le monde Occidental. En cette poisseuse fin de millénaire où chacun semble à la recherche d'inspiration, sans doute est-il temps de parler à nouveau d'elle.

C'est le 6 décembre 1912 que, miraculeusement intact, son Buste a ressurgi des couches souterraines de Tell el-Amarna, l'ancienne ville d'Akhenaton. Néfertiti est alors redevenue la femme célébrée qu'elle avait été, toujours tellement belle que Ludwig Borchardt, l'archéologue allemand responsable des fouilles, ne put s'empêcher de la voler en la dissimulant parmi des pièces prétendument sans importance en direction de l'Allemagne.

«--- Le buste présenté ici, dont l'original se trouve au musée Dahlem à Berlin, a été rénové électroniquement. (Comparer avec le buste original.) Il est possible que la reine apparaisse ici pour la première fois avec ses deux yeux, puisque, comme nous le verrons plus tard, le sculpteur Thoutmès n'aurait pas terminé son Oeuvre.

Évidemment, le vol ne saurait être cautionné d'aucune façon, mais comment ne pas comprendre Borchardt? Dès qu'il la vit, il fut subjugué. « Il ne Sert à rien de la décrire, il faut la voir! » écrivait-il la première nuit après la découverte. C'est ainsi que, trente-trois siècles après sa mort, reprenait pour néfertiti le cours d'un destin fort tourmenté.

L'histoire commence, en cette XVIII dynastie, avec la coutume que les pharaons avaient, depuis trois générations, d'entretenir de bonnes relations Avec les pays amis en achetant leurs princesses. Le Mitanni1 était l'un de ces pays, et tadouchépa, la fille de son roi, fut envoyée au pharaon Amenophis III, le père d'Akhenaton, porteuse d'une statuette de la déesse Ishtar qui devait le guérir de tous ses maux2.

Ce n'est donc qu'en Égypte que la jeune fille de quinze ans reçut le nom de Néfertiti, qui, en égyptien, signifie « la belle est venue ». pendant les deux années que le pharaon mettra à mourir en espérant les faveurs d'Ichtar, la jeune fille apprendra de Tiyi, la mère d'Akhenaton, que la grande épouse royale ne sert pas nécessairement que de parure. C'était certainement ce qu'on peut appeler « aller à la bonne école ».

Puis, lorsque Amenophis III fut mort et dûment momifié -- il fallait trois mois pour cela! -- les jeunes purent enfin convoler en justes noces. Autant à l'un qu'à l'autre, le temps a dû sembler long. Unis, sous la préséance manifeste de l'ainée3, les époux allaient, pour la première fois de l'histoire, proposer un dieu aimant, unique et universel.

Un hymne à Aton, rendu célèbre parce que le psaume 104 de la Bible en est inspiré, disait qu'il était non seulement le dieu des Égyptiens, mais celui des Syriens et des Nubiens (des pays alors sous l'influence de l'Égypte), de tous les hommes des pays éloignés, du bétail et des bêtes sauvages, du lion dans son Antre, du poisson dans la rivière et même... du poulet dans l'oeuf!

Mais ce nouveau dieu, il ne suffisait pas de le rêver. Pour Le soustraire, ainsi qu'eux-mêmes, à la puissante influence des prêtres d'Amon, le couple royal allait, pour la première fois de l'histoire, créer une ville de toutes pièces. En l'an 4 du nouveau règne, Akhenaton et Néfertiti quittent Memphis pour L'emplacement minutieusement choisi pour cette Brasilia des temps anciens. Ce Jour-là, « Le ciel était en joie, la terre exultait, tous les coeurs riaient. »

Située entre Memphis et Thèbes, adossée au Nil à l'ouest et, à l'est, à un massif rocheux où devaient être creusées les tombes de ses pharaons, La haute vallée retentit pendant trois ans de l'activité fébrile de cent mille techniciens, ingénieurs et ouvriers.

Qu'on imagine cette ville, nommée Akhetaton en l'honneur de son roi, lorsqu'enfin il arrive avec la reine ! Des parcs, des jardins, des lacs, des Bassins, peuplés d'animaux et de plantes importés de Nubie et du pays de Kouch, ont été aménagés afin qu'elle foisonne de vie. Partout les temples et les palais ont délaissé leur imposante pénombre pour s'ouvrir à la lumière du nouveau dieu. Le temple d'Aton, orienté à l'est comme la plupart des premières églises chrétiennes, est même dépourvu de toit.

" Maât ", la Vérité, sert d'inspiration au nouvel art. formalisme et stylisation sont oubliés. Pour la première fois dans l'histoire de L'art égyptien, l'échelonnement strictement symétrique des personnages fait place à une variété de mouvements et on retrouve les premières tentatives d'utilisation de La perspective.

Le couple royal est souvent représenté dans ses activités quotidiennes, ce qui permet au peuple de s'y identifier. On le voit avec ses enfants Sur les genoux et même, quelle effronterie, échangeant ce frottement de nez qui faisait office de baiser à l'époque.


<--- On voit ici Akhenaton et Néfertiti en compagnie de Leurs trois premières filles: Méritaton, Makétaton et Ankhésenpaton. Cet art, où les personnages sont représentés avec une tête oblongue, un long cou, des pommettes Saillantes, un ventre rebondi et des cuisses dodues, est caractéristique de la période amarnienne. Avec Aton bien en vue offrant ses bienfaits au couple, la scène combine le sacré et le quotidien.

Peu à peu, c'est la vie même qui change. Comme c'était la coutume chez les pharaons, les enfants n'étaient pas élevés principalement par la reine, mais ils pouvaient aller et venir où bon leur semblait, même aux rencontres Officielles. Certains ambassadeurs durent avoir un léger choc à les voir si Libres.

Bien qu'il y ait eu de nombreux pauvres établis en bordure de La ville pour profiter de ses richesses, le couple fut adulé. En traversant le pont couvert qui surplombait l'avenue Royale entre la résidence et le palais royal, il S'arrêtait à la loggia pour saluer le peuple. L'espoir de renouveau qu'il sut faire naître évoque sans contredit la présidence de Kennedy. Mais le destin allait, cette fois aussi, contrer de généreux projets.

Dès la fondation de la ville, en l'an 4, Akhenaton aurait commencé à souffrir de graves problèmes de santé dont, aujourd'hui encore, la nature exacte n'est pas élucidée. Au mieux, pourrait-on généraliser en parlant de problèmes hormonaux, originant probablement de la glande pituitaire, qui auraient défiguré son corps4.

On dit que Néfertiti aurait alors adopté une attitude maternelle envers le pharaon. Mais la grande épouse, bien que discrète, n'avait pas La réputation d'être très fidèle. Il n'y a qu'à l'imaginer dans ses vêtements diaphanes, ses colliers ondoyant dans un décolleté s'ouvrant jusqu'à la naissance des seins, pour comprendre qu'elle devait faire de l'effet. Mais les relations entre mari et femme en souffraient.5

De plus, le couple ayant concentré ses énergies sur son projet, les relations extérieures avaient été négligées. Ici et là, des vassaux Songaient à reprendre leur indépendance, des pays amis se sentaient délaissés. Même à l'intérieur de l'Égypte, des clans s'étaient formés et la contre-réforme S'organisait.

Qu'on songe seulement aux déboires conjugaux auxquels, de nos Jours, peut conduire une simple faillite, et on comprendra que la pression devait être énorme.

La fin de la ville d'Akhenaton est certainement moins bien documentée que ses débuts. On sait toutefois que, douze ans après le mariage, le couple se sépare. Akhenaton partage alors le pouvoir avec un certain Sémenkharé dont L'identité reste obscure et avec qui il aurait entretenu des relations homosexuelles6. Ce corégent ramène Akhenaton à la religion d'Amon. Emporté par la peste qui fut introduite de L'Asie Mineure en Égypte par les caravanes, Sémemkharé meurt en 1347, quelques mois Avant Akhénaton, alors que tous deux étaient revenus à Thèbes.

Seule au milieu de ses rêves écroulés, Néfertiti, la reine déchue, est demeurée dans la ville avec les derniers croyants, mais elle ne s'avoue pas vaincue. L'autorité du haut fonctionnaire Ay, celui qu'on dit avoir été le principal artisan de son mariage, n'avait cessé de croître et il aspirait évidemment Au trône. Il semble toutefois que Néfertiti ait réussi à imposer Touthankaton, un gendre d'Akhenaton, et à lui faire épouser sa fille. Alors âgé de 11 ans, celui-ci ne gardera son nom que deux ans avant de retourner, lui aussi, à Thèbes. Sous L'autorité de l'incontournable Ay, il y poursuivra son très bref règne sous le nom de Toutankamon7.

Néfertiti mourut probablement dans la ville désertée, à l'âge d'un peu plus de 35 ans. Toutankaton, son dernier espoir, venait de s'envoler.

Peu à peu, la nature reprit ses droits. Les briques de limon S'effritèrent et une épaisse couche de sable tapissa la cité déserte. Étrangement seule, l'effigie de Néfertiti régnait encore sur ce décor lunaire. Puis, un jour dont seul Aton garde la mémoire, le socle, vermoulu ou rongé par les fourmis Blanches, se désagrégea. Attirée par la pesanteur de sa tiare, la grande épouse royale tomba à la renverse, mais son visage et son cou fragiles furent préservés.

C'est ainsi que, dans la ville qu'elle ne quitta jamais, même à l'heure de la plus grande solitude, se termine l'histoire de la petite Tadouchépa mitannienne. Ayant tenu tête au destin jusqu'à son dernier souffle, ce fut finalement celui du vent qui, tout doucement, la dissimula au regard du monde8.

Maintenant que réapparaissent les artefacts de cette époque, que reste-t-il de l'entêtement de Néfertiti? Pourquoi ne songe-t-on jamais à une femme lorsqu'il est question du monothéisme? Moïse lui aurait-il damé le pion?

L'histoire du peuple hébreu, c'est bien connu, a été intimement liée à celle de l'Égypte. On se rappellera que Jacob et ses fils S'étaient amenés en Égypte suite à une famine générale au Proche-Orient et en Égypte et que, ayant hérité de terres comptant parmi les meilleures d'Égypte, ils prospérèrent au point que le pharaon les considéra comme un danger pour L'État9. Ceci implique donc que plusieurs générations s'étaient écoulées entre leur départ de la Palestine et Leur retour.

Or, d'après les plus récentes recherches, l'Exode aurait eu Lieu sous Ramsès II (~1250). Il faut donc que les Hébreux se soient trouvés en égypte lors de la période amarnienne, qui ne se situe que cent ans plus tôt.

Quant à savoir si Moïse10 fut inspiré par la courte période de monothéisme Amarnien, c'est ce qui ne pourra probablement jamais être prouvé. Ce qui est Absolument certain, par contre, c'est qu'on ne pourra jamais prouver le contraire, c'est-à-dire qu'il n'en fut pas inspiré.

Il ne fait donc aucun doute qu'une grande dame, très jolie et un peu libertine, a pu être à l'origine du monothéisme. Il faudrait peut-être Appeler Jean-Paul et lui dire: la belle est venue.

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L'un des moyens les plus agréables de prendre connaissance de cette époque est de lire Sinouhé, l'Égyptien, L'excellent roman de Mika Waltari dont nous proposons une critique.

André Phaneuf a lui aussi été inspiré par Néfertiti et il nous offre un texte sur son site.


Notes:

(1)Le Mitanni recoupait des territoires de la Turquie, de la Syrie et de l'Irak Actuels.

(2) On ne sait pas exactement de quel mal Amenophis III souffrait, mais une radiographie de sa momie révèle qu'il avait des problèmes de dentition et, probablement, de nombreux ulcères aux gencives. Une chance que les Égyptiens s'embrassaient en se frottant le nez!

(3) Plusieurs indices laissent deviner cette influence prépondérante. Ainsi, sur les tablettes du temple d'Aton à Karnak, retrouvées dans la deuxième colonne du temple d'Amon (le temple d'Aton a été détruit pour servir de matériel de remplissage), on retrouve son image presque deux fois plus souvent que celle de son époux.

(4) Certains historiens prétendent toutefois que Akhenaton n'était pas malade. Les représentations de son corps, avec ses pommettes saillantes, ses grosses lèvres, ses Seins naissants, ses fesses et ses cuisses boursouflées sur des jambes grêles, ses parties génitales inexistantes, ne seraient que la représentation artistique du caractère androgyne d'un dieu unique. Quoi qu'il en soit, il est certain que le couple s'est disloqué par la suite.

(5)C'est probablement à cette époque que Néfertiti commença à recevoir des visites plus Assidues de Thoutmès, l'auteur du célèbre buste. Les experts se perdent toujours en conjectures sur les raisons qui ont poussé le sculpteur à ne pas incruster l'oeil gauche.

On suggère que, éconduit par la reine, il l'aurait punie en laissant le buste inachevé. Toutefois, il faudra attendre plusieurs années avant que la ville soit abandonnée, apparemment en toute hâte, sous la menace des soldats, Ou sinon, d'une épidémie de peste. Alors quoi? Le sculpteur aurait-il laissé le Buste sur un socle dans son atelier sans oser le détruire ?

(6) Encore que... Sémemkharé aurait pu être son fils, fruit d'une union extra-maritale, même Si, contrairement à son père, Akhenaton aurait été relativement monogame. Alors Autant sortir les cartes de tarot pour découvrir le passé, quoi!

(7)Toutankamon a vraisemblablement été Assassiné puisqu'une radiographie de sa momie révèle une fracture à l'arrière du crâne. Ay réussira par la suite à prendre le pouvoir pendant quelques années. Suivra horemheb, l'ancien chef des armées de Toutankamon et le dernier pharaon de la XVIIIème dynastie.

(8) Sa momie, de même que celle d'Akhenaton, ne fut jamais retrouvée. Malgré leur activité fébrile, les destructeurs ne réussirent toutefois pas à détruire toutes les représentations de celle qui, de tout le Nouvel Empire, inspira le plus d'oeuvres figuratives.

(9) On retrouve L'histoire de Joseph, son père Jacob et ses frères dans la Genèse à partir de Gn 37 2.

(10) Les notes de bas de page étant habituellement plutôt tristes, tâchons de nous amuser un peu pour cette dernière. Un des auteurs que j'ai consultés -- Philippe Aziz, pour ne pas le nommer -- qualifie d'invraisemblable le récit biblique sur Moïse repêché des eaux, entre autres, parce que « Les palais (...) comportaient des équipements très Sophistiqués pour la toilette » et que « Seuls les gens pauvres ou peu aisés se Baignaient dans le Nil. »

Quel petit rigolo! Si M. Aziz possède une salle de bain et une piscine, faut-il supposer qu'il ne va jamais se baigner dans les rivières ou à La mer ? Oui mais, tout de même, une reine ! dira-t-on.

Mais, n'est-il pas de notoriété publique que certains empereurs romains avaient coutume de donner un coup de pied dans la porte arrière de Leur palais pour aller prendre un coup à la taverne et sonder l'opinion publique? Alors qu'on imagine combien il était encore plus facile pour une reine de passer incognito en cette Égypte où les bustes polychromes n'étaient pas exposés dans les édifices publics.

Je les vois très bien, moi, ces reines, les cheveux défaits sur les épaules et les lunettes soleil au nez, allant prendre une saucette Au Nil avec quelques servantes. Il faut bien ne pas avoir remarqué la singulière Aptitude des femmes à changer leur apparence, pour croire qu'on aurait pu les reconnaître! Et imaginez un peu le Nil de cette époque lors de la saison des récoltes... Seigneur!

Avec de telles idées préconçues, on ne s'étonne pas que Les éqyptologues se gourent plus souvent qu'à leur tour!

P.S.: Ce texte est complètement différent de ceux que j'ai proposés jusqu'à présent sur La Masse Critique. N'étant pas un spécialiste en égyptologie, je puis difficilement défendre les points de vue exprimés ici, surtout que les livres et les articles que j'ai consultés se contredisent, même sur des points fondamentaux. J'ai donc tenté de ne garder que ce sur quoi les spécialistes S'entendent, ou alors, j'ai mentionné les divergences d'opinion. Peut-être se trouvera-t-il parmi nos lecteurs des spécialistes qui nous en apprendront plus Long.

Copyright © Gilles Pelletier, 1996
Créé le 1er janvier 1997.

Nefertiti - buste


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